FONDS CLÉMENTINE VERGNAUD
Les podcasts France Info
Un travail de journaliste jusqu’au bout
Après un début d’année 2023 très difficile, dû à l’échec du traitement de chimiothérapie-immunothérapie de première intention, Clémentine revit. Elle reçoit une « thérapie ciblée » expérimentale, qui vise une mutation génétique particulière de sa tumeur. Ce traitement va donner de bons résultats jusqu’en juin, avant de commencer à produire de lourds effets secondaires, puis d’être arrêté à la fin du mois d’août pour être remplacé par une chimiothérapie de deuxième ligne, réputée peu efficace. C’est au cours de l’administration de ce traitement que Clémentine est victime d’un accident cardiaque grave, un « Tako-Tsubo », également nommé « syndrôme des cœurs brisés ».
Durant cette fenêtre du premier semestre 2023, qu’elle a surnommé sa « deuxième chance avec la vie », Clémentine commence à envisager de laisser un témoignage sur ce qu’elle traverse. Sa thérapie ciblée ne lui occasionne dans ces premiers temps aucun effet indésirable type vomissements ou « brouillard de chimio ». Elle retrouve son agilité intellectuelle et se met à écrire, obéissant probablement à un appel vital profond mais aussi, en journaliste, dans le souci de documenter son épreuve, ses ressentis, les obstacles rencontrés afin d’être utile aux autres malades.
Au même moment, dans les couloirs de Franceinfo, un des rédacteurs en chef de la station, Samuel Aslanoff, mûrit la même idée. Inspiré par le fil de numérique de nouvelles que Clémentine tient à destination de ses amis et collègues, il pressent la possibilité d’un travail radiophonique.
Tous deux se rencontrent autour de l’idée d’un podcast, qui leur semble rapidement évidente.

Le projet ne sera pas facile à vendre. Le sujet – une jeune femme qui se bat contre un cancer mortel – n’est pas à première vue des plus entraînants. « Qui va écouter ça ? », se demande anxieusement Clémentine elle-même. Pourtant, à l’écoute de l’épisode pilote, le directeur, Jean-Philippe Baille, décide de prendre le risque. Homme de radio, il a été convaincu à la première écoute.
Les 16 épisodes existants sont séparés en deux « saisons », ainsi que les qualifiait Clémentine, elle-même grande amatrice de séries. Les premières prises de sons ont lieu au printemps. C’est encore un temps d’espoir, bien qu’elle n’ignore pas la présence de lourds nuages au loin, son « épée de Damoclès ». Durant ses mois, elle prend connaissance d’un article américain qui décrit la « chronicisation » du cancer, à travers la stratégie du passage à gué : le patient saute d’une thérapie à l’autre, comme sur les pierres d’un gué sur un fleuve opaque et imprévisible, espérant faire suffisamment durer l’exercice pour laisser le temps à la recherche médicale de produire de nouveaux traitements. Le manque de recherches autour du cholangiocarcinome et son état de santé toujours plus fragile au fil du temps ne lui permettront hélas pas de compter sur cette méthode.
Ainsi, lorsque paraît la première « saison » de son podcast, Clémentine est à nouveau hospitalisée. A Nantes cette fois. Elle y était retournée le temps d’un week-end entre amis ; elle y passera une dizaine de jours à l’hôpital. Personne ne le sait encore, mais les douleurs dont elle est prise sont les premiers signes de l’échec de sa thérapie ciblée. Clouée dans son lit, elle ouvre de grands yeux devant les premiers chiffres de son podcast et pose fièrement, téléphone en main et sourire aux lèvres. Les douleurs se calment après une opération réussie – elle en pleure de joie et de soulagement – , sa mère lui amène une succulente tarte aux fraises pour satisfaire son éternelle gourmandise. Clémentine est heureuse.


La première saison fait d’elle une star du web, occupant ses journées à répondre aux très nombreux messages des auditeurs touchés par son travail si vrai. Pour de nombreux personnels médicaux, il constitue une fenêtre ouverte unique en son genre dans l’esprit de leurs patients et facilitent la prise de conscience de la place qu’ils doivent occuper dans le parcours de soins. L’importance de son travail sera reconnue par la profession : l’école des Hautes études en santé publique, « l’ENA des directeurs d’hôpitaux », baptisera de son nom une promotion, la première dans l’histoire de l’école à porter le nom d’un patient.
Elle tisse aussi un autre réseau : celui des « copines de cancer ». Des jeunes femmes ou des hommes comme elle atteintes de cancers variés, avec lesquelles elle entame des relations amicales : Marie, Gabriel, Marine…
Mais au mois de septembre, toutes les perspectives s’évaporent et « l’épée de Damoclès » tremble dangereusement. Son accident cardiaque, auquel elle survit par miracle, pour connaître la résurrection du mariage, lui démontre cruellement la nécessité d’accélérer le projet de « saison 2 », qu’elle a toujours eu en tête.
Nagra sur l’épaule, Samuel Aslanoff est de retour. Mais cette fois les entretiens ont lieu dans une chambre de l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif, sur fond de bruits de gouttes à gouttes et autres machines respiratoires. En effet, prise de douleurs intenses alors qu’elle revenait de vacances rêvées dans une magnifique villa de la Côte prêtée avec panache par un couple d’auditeurs, elle doit cesser son voyage aux urgences d’un hôpital lyonnais, malgré ses protestations. Elle y gagnera un douloureux baptême d’hélicoptère, secouée par les trous d’air, pour son transfert en région parisienne, vers son établissement de traitement. Son mari, lui, finit le voyage en voiture après avoir précipitamment mis ses enfants au train l’avant-veille : ne manquait plus qu’une péniche…
Clémentine ne sortira plus de cet hôpital que pour deux après-midi chez elle avec un adieu à son chat. Sur la « bande », sa voix n’a plus le timbre assuré des premières prises de sons. Sa santé se dégrade vite. Le cancer trouve la parade à toutes les actions entreprises par ses médecins pour tenter de reprendre les traitements. D’un soir à l’autre, en la massant, on sent de nouvelles métastases apparaître sous les doigts. Le 28 novembre au matin, elle pleure de soulagement dans sa chambre. C’est fini. Décision est prise officiellement de cesser toute tentative et de passer aux soins palliatifs. Elle le sentait : le cancer avait en permanence trois longueurs d’avance. Enfin, elle a le droit de ne plus se battre, de « lâcher la rampe ». Elle va cesser de subir ces invasives et douloureuses tentatives de sauvetages. Elle peut mourir.
Le dernier enregistrement a lieu quelques semaines avant sa mort. Sa respiration est déjà courte. Sa voix est un filet. Un filet doux, bas et soyeux, qui remercie les auditeurs du podcast pour la dignité qu’ils lui ont rendu, pour lui avoir donné la possibilité de « faire quelque-chose » avec cette « maladie débile ».
Trois jours avant de sombrer dans la paralysie totale, prélude à l’arrêt de son cœur, Clémentine pique une de ses légendaires colères : elle veut rester maître à bord de son podcast. Elle a un moment cru que ses collègues allaient faire le montage sans elle. Il n’en a jamais été question, mais elle décide de reprendre à zéro les écoutes. Il faut lui diffuser les « bruts » et noter sur une feuille toutes ses remarques. Elles sont incroyablement justes. Elle n’a rien perdu de son oreille ni de ses capacités à saisir les bons passages. Ca ne dure pas. La fatigue la terrasse au bout de quelques minutes. C’est sa dernière séance de travail. Cette fois, il n’y aura pas de résurrection. Mais, à travers le micro de Samuel Aslanoff, le phénix, sur son épaule, a pu s’envoler une fois encore.
Le podcast « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine » a été récompensé en 2024 du grand prix du journalisme-Michèle Léridon aux Assises du journalisme de Tours en raison de « la qualité de son travail et de l’écho qu’il a eu auprès de nombreux soignants et malades » ; ainsi que du prix de la revue médicale Prescrire.
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