FONDS CLÉMENTINE VERGNAUD
Clémentine Vergnaud, la vie intense
Le 15 juin 2022. A la suite d’un scanner, Clémentine découvre sur son foie une « masse hépatique ». « J’ai peut-être un cancer », dit-elle ce jour-là à ses proches, dans un état de sidération.
Ce peut-être, hélas, se transforme en certitude à la suite des examens – en particulier une douloureuse biopsie – effectués à l’hôpital Percy, à Clamart, la ville où elle réside alors.
Cette certitude a alors pris un nom, écrit à la main sur une feuille médicale : cholangiocarcinome intra-hépatique. Un cancer des voies biliaires, au nom barbare, qui plus est hautement improbable à son âge. Un cancer « rare », grave et agressif.
Confiée aux soins du Pr Pascal Hammel, à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, Clémentine entame, à 29 ans, le parcours qui la conduira de l’existence intense et pleine de projets d’une jeune femme au printemps de sa vie, au dernier battement de son coeur dans les bras de ses proches, 18 mois plus tard.
De ce chemin de douleur subsiste une trace incroyablement lumineuse, sincère, élégante, profonde, humaine et débordante de force de vie : « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine », podcast Radio France, devenu un livre aux éditions du Seuil.
La vie d’avant
Clémentine Virginie Jeanne Vergnaud naît le 10 août 1992 à Bressuire, dans les Deux-Sèvres. Elle est la troisième et dernière fille d’Elisabeth et de Bruno Vergnaud, infirmière et ouvrier dans le secteur automobile. Elle a vécu et grandi à Courlay.
Si la valeur « n’attend pas le nombre des années », la force de caractère non plus. Clémentine est décrite comme une enfant et une adolescente aussi drôle et pleine d’humour qu’impérieuse dans l’expression de sa volonté ; solaire et charismatique, susceptible et affirmée.
Très rapidement, elle montre aussi une sensibilité très développée et une sorte de « 6ème sens », qui lui permet de saisir les situations en finesse « Nous n’avons pas vraiment eu d’ado à la maison avec Clémentine », racontent ses parents. « Nous sommes passés d’une enfant à une petite adulte à qui il était difficile de répondre ».
Soucieuse de bien faire, studieuse et douée de facilités, Clémentine ne rencontre pas d’obstacles majeurs durant sa scolarité, hormis sa propension à toujours douter d’elle-même. « Elle apprenait les leçons de ses sœurs en les écoutant et était capable de les réciter », se souvient Elisabeth, sa mère.
L’un de ses problèmes majeurs est sa date d’anniversaire : le 10 août, au cœur des vacances d’été. Difficile de réunir ses camarades. Clémentine compense en attirant l’attention de salles de restaurants sur ce fait incontournable, invitant chaque client à la féliciter, ou bien trouve son bonheur en voyant tout un camping se réunir autour d’elle à l’initiative de ses parents.
Intensément sociable, grande bavarde, joyeuse et dotée d’un sens imparable de la répartie, elle faisait souvent résonner son rire en cascade au milieu de tablées de fêtes ou plus tard de soirées entre amis.
Dès ses années de collège, Clémentine ressent une vocation pour ce métier. Il lui permet d’exercer ses capacités d’analyse, d’assouvir sa curiosité et sa profonde empathie avec ceux qu’elle rencontre. Au fil des ans, sans qu’elle n’en prenne véritablement conscience, elle développera également un style d’écriture direct, imagé, en prise avec son esprit, dont les qualités littéraires se retrouvent dans les pages de son livre, publié post-mortem.
Exprimant le désir de s’orienter vers le journalisme, elle se heurte à au scepticisme de certains de ses enseignants qui y voient un voie impossible pour une jeune fille originaire d’une région rurale. Déjà animée de cette volonté qui la poussera, sans en faire étalage et avec naturel, à briser des tabous et des préjugés, elle passera outre et obtiendra un premier stage à la Nouvelle République, rédaction de Bressuire. Elle y laisse le souvenir de sa détermination, et restera sa vie durant attachée à son premier maître de stage, qui l’a aidé à confirmer ce choix.
Une vocation précoce :
le journalisme
La République Dominicaine

Pour finir ses études, Clémentine exprime à la surprise générale le souhait de passer une année à l’étranger.
Bonne hispanophone, elle choisit la République dominicaine grâce à une association d’échanges. Jeune Française issue d’une famille aimante et protectrice, elle y découvre la dureté d’autres destins, dans un autre pays, tout en continuant à vivre sa vie d’adolescente : amis, sorties.
Sa première famille d’accueil se révèle difficile et bien des années plus tard, Clémentine parlera encore avec émotion des conditions dans lesquelles se trouvait sa « petite sœur d’accueil ». Changée de famille, elle vit une seconde partie d’échange plus facile. Sa « mère d’accueil » lui reste chère au point qu’elle adjoindra son nom au sien sur les réseaux sociaux, qu’en jeune femme de son temps, elle maîtrisait.
De cette expérience elle revient changée. Elle y a connu une souffrance dont elle n’avait pas idée et tombe dans les bras de ses parents à l’aéroport.
Le Bac n’était, à ses yeux, valable qu’avec une mention « Très bien ». Pétrie d’angoisse, elle se présente devant les résultats affichés sur les fenêtres de son lycée. Son soulagement et sa joie sont quelque-peu ternies par les résultats d’une amie, qu’elle console fraternellement. Ce soir d’été, dans le jardin de Courlay, la famille, comme des millions d’autres, fête le Bac de la petite dernière.
Science-Po échouera à la compter sur ses bancs. Le journalisme toujours en tête, elle étudie à Bordeaux puis à l’école de journalisme de Tours, l’EPJT. L’école fera d’elle, en 2024, la marraine de sa promotion. Les souvenirs des étudiants qui l’ont côtoyée racontent une camarade fidèle, une amie inébranlable et toujours proche, ainsi qu’une compétitrice-née mais bienveillante et attentive aux autres. Elle est bien souvent la dernière à poser encore des questions, demander des éclaircissements, soulever des contradictions apparentes quand tous ses camarades ont déjà le sac sur le dos, leur offrant par là un supplément de cours pas toujours désiré ! Le centre des tables est sans y penser sa place favorite dans les cours pratiques et elle assure l’animation des séances de travail. Elle ne recule pas non plus devant les soirées étudiantes, éclairées par son immense sourire.
Comme toujours, l’étudiante modèle est aussi rongée par le questionnement et le doute sur sa valeur et ses réalisations. Bien souvent, le directeur de l’école la voit entrer dans son bureau à la recherche de conseils et d’encouragements.
Diplôme en poche, elle sait vers quel avenir se diriger. Séduite par la radio, son regard s’allume en même temps que la lumière rouge du studio : micro ouvert. Sa voix douce avec un fond de rocaille, sa gouaille naturelle associée au sérieux sans concession de ses textes y sonneront merveille.
Une vie à construire

Radio France, une vie de compagnon du devoir
Pour Clémentine, la radio de service public est une évidence. Son réseau de 44 radios locales, France Bleu, devenu Ici, s’aligne avec son besoin naturel de proximité. Elle y trouve le ton qu’elle cherche.
Mais pousser la porte d’une rédaction est loin d’être un acte suffisant pour qui souhaite intégrer le « réseau ». Comme la plupart des jeunes journalistes, Clémentine doit intégrer le « planning », bien connu dans le milieu. Il s’agit d’une sélection de jeunes professionnels, appelés à effectuer des remplacements en CDD partout en France, sur tous les postes imaginables : reportages, matinales dans des régions que l’on découvre la veille au soir pour prendre l’antenne au milieu de la nuit, « contrats » aux différents services sports, sur les sites internet etc. Le tout suivi d’une évaluation de chaque rédactrice/rédacteur en chef.
Le parcours est formateur, mais la formation est sans filet. Il faut soutenir des rythmes importants, sous le regard de ses pairs plus âgés, résister à la fatigue, à la pression, au stress de déplaire sur un contrat qui risque de mettre à mal une carrière, un rêve décroché au prix d’efforts, d’études et de sacrifices sur la vie personnelle. Tout cela sur plusieurs années avant, enfin, de pouvoir postuler à un poste ouvert dans une radio locale ou nationale de la « Maison », et d’y être embauché souvent à l’issue de plusieurs candidatures, tant la concurrence est rude et les facteurs d’évaluation aléatoires et variés.
Après deux tentatives, Clémentine décroche le concours d’entrée au planning. Commence alors pour elle une vie à « tourner », selon le terme employé par les « planneurs » : Bordeaux, Ajaccio, Nantes, Toulouse, Paris, Cherbourg, Rouen, Le Mans etc. Elle tient le carnet plein d’humour de ses pérégrinations, nourri de son caractère entier, notant au passage chaque ville. Au cours de ces contrats se nouent de solides amitiés, qu’elle retrouvera plus tard à son chevet.
Nantes
En 2017, Clémentine pose ses valises à Nantes, dans le quartier Dalby, non loin de la gare. La ville est proche de sa famille, bien desservie et agréable. De là, elle peut facilement se déplacer, en train ou avec sa petite voiture qu’elle couve. De son deux-pièces avec balcon (et seau à compost, elle s’en faisait un devoir, et prenait sans faillir son tour de permanence aux bacs pour aider les habitants à s’y retrouver), elle construit un premier nid, dans une ville qui devient vite la sienne.
Nantes est emplie de souvenirs : l’épicerie vrac, le rituel du marché avec son fromager idolâtré, l’île de Versailles sur l’Erdre, son restaurant solidaire et ses balades pluvieuses, le canal de la Martinière, les escape games entre amis : une bande proche et chaleureuse, pleine d’histoires, de dîners et de soirées jeux où la compétition le disputait au plaisir d’être ensemble.
Au matin du 16 novembre 2018, Clémentine est « en contrat » à la radio locale de Toulouse. Elle traverse une rue pour s’y rendre… et se fait renverser par une voiture.
Ce jour-là, a-t-elle raconté, elle s’est vue mourir, couchée sur la chaussée. L’accident se révèle sans gravité extrême mais elle ressort de l’hôpital en fauteuil roulant et devra en passer par une centaine de séances de kiné et un dossier juridique long et laborieux car le conducteur tente d’échapper à sa responsabilité.
Des douleurs l’empêchent de reprendre normalement son activité professionnelle. Elle ne parvient plus à porter le « Nagra », l’appareil enregistreur des journalistes radio. Elle court le risque de voir tous ses efforts réduits à néant. Cette première grande épreuve de santé révèle le caractère particulier du courage chez Clémentine. Une volonté d’avancer à travers les difficultés, sans en faire étalage. Un mélange de force vitale et de fragilités, de détermination et de doutes, de résilience et de besoin du soutien de ses proches.
Pas à pas, elle reconstruira tout l’édifice ébranlé. Après quelques mois à effectuer des contrats sur des postes d’intérieur, elle retrouve le chemin et le goût du contact et du terrain. Elle est dans la forêt des nouveaux chênes de Notre-Dame, au micro de la matinale à Bordeaux, dans les cités de Marseille en reportage sur le trafic de drogue. Il s’agit de montrer à ses collègues et son employeur qu’elle est toujours à-même d’effectuer ses missions, mais aussi de s’en convaincre elle-même, à l’épreuve des faits, malgré les lourdes séances de kiné et les douleurs qui la handicapent. Cette volonté de se relever, de revenir des épreuves s’inscrit sur sa peau : elle se fait tatouer un phénix sur l’épaule gauche. Il est aujourd’hui l’emblème du fonds qui porte son nom.
L’accident de la circulation : une épreuve et une reconstruction
Passion « PJ »
Si la pandémie de Covid coince Clémentine dans son appartement nantais, elle ne l’anesthésie pas pour autant. Passionnée par les questions de justice et de police, elle décide de passer un Diplôme universitaire de criminologie. Elle s’immerge avec plaisir dans les méandres de la procédure pénale et les procédures d’enquêtes de police. Difficile de regarder une série policière avec Clémentine sans devoir prendre note du moindre écart avec la réalité. Peu de scénaristes auraient trouvé grâce à ses yeux.
Sa passion la pousse à entrer en contact, via les réseaux sociaux qu’elle maîtrise sans difficulté, avec des acteurs de la justice, des responsables ou des syndicats des forces de l’ordre. Elle dévore les ouvrages traitant des affaires et, en bonne journaliste « PJ », se passionne pour les détails que sa mémoire lui permet de retenir, plus intarissable que jamais quand il s’agit de raconter.

Enfin embauchée
L’année 2021 est à la fois joyeuse et difficile pour Clémentine. Bien que régulièrement saluée pour la qualité de ses candidatures, il lui faudra sept tentatives avant de signer enfin ce CDI dont elle rêvait depuis des années. Découragée parfois, elle envisage avec sérieux d’entrer dans la police. Mais ses propres angoisses ne font pas faner la générosité de son caractère. Ses collègues témoignent de sa solidarité, de sa proximité après des entretiens difficiles.
Clémentine trouve finalement sa place au site internet de Franceinfo, dans les longs couloirs arrondis de la Maison de la radio, à Paris. Y chassant avec zèle les fautes d’orthographe et de typographie, elle s’intègre sans difficulté dans une équipe qu’elle connaissait : « Le matin, elle motivait tout le monde avec son sourire. Elle nous lançait des petits défis », se souvient l’une de ses consoeurs. Sa finesse et son courage d’aborder des problèmes complexes s’exprime dans le choix de sujets qu’elle propose à la rédaction. Ainsi, son travail sur les questions posées par le vote des personnes âgées s’avère encore aujourd’hui un reportage fouillé, original, scrupuleusement honnête et respectueux, mais audacieux et intelligent, à l’inverse des caricatures qui en ont été faites.
Clémentine s’achète un petit appartement à Clamart, son rêve de passer un jour au service « police-justice » de la radio commence à prendre forme. En attendant, sa hiérarchie lui propose de s’initier à la prise de responsabilités dans l’équipe. Elle vient de prendre quelques rendez-vous pour un reportage délicat autour de la PMA… Mais le 15 juin 2022…
Cancer, etc…
La suite est racontée par Clémentine elle-même dans son podcast.
Plus 2,5 millions de personnes l’ont écouté ; son livre s’est écoulé à plus de 8.000 exemplaires et les ventes se poursuivent, les droits d’auteurs revenant au Fonds Clémentine Vergnaud contre le cholangiocarcinome, créé par sa famille et ses amis après son décès afin de perpétuer la volonté d’être utile et la générosité qui a été la sienne sa vie durant.
Clémentine, cette grande bavarde, ne parle plus. Mais sa voix résonne sur les ondes encore et encore, ricochant d’un cœur à l’autre…
Accéder à la page « Podcasts »
Accéder à la page du « Journal de Clémentine »
